Auteure | Conférencière | Coach

2025 / 11 : L’HÉROÏNE DE MA GRAND-MÈRE

À 11 ans, j’ai des lunettes rondes et rouges, une allure maigrichonne, une timidité qui m’encombre. Personne ne me remarque, je ne fais pas de vague – même si, régulièrement, je bataille contre ma mère pour porter des pulls larges et pas des chemisiers fleuris, façon petite fille modèle échappée des pages de la Comtesse de Ségur. Heureusement, pour remplir ma vie, il y a tous les livres que je dévore – des récits de voyage, des épopées familiales, des romans où les personnages n’ont peur de rien.

Depuis des années, ma grand-mère Nicole me parle de cette folle histoire, qui attrape et hypnotise. Entre les lignes, je comprends qu’elle, avec ses cheveux blancs et ses soixante-treize ans, elle dont le quotidien est devenu si calme, éprouve une admiration irrépressible pour la protagoniste, inapte aux compromis et aux convenances. Elle ne l’a jamais oublié, ce bouquin. Elle l’a lu avec impétuosité. Toutes les nuits. Elle, elle l’a reçu de ses parents, en cadeau, une récompense pour avoir réussi le bac. Je calcule : on lui a offert en 1938. Comme c’est loin !

J’ai onze ans et je me dis qu’il est temps. À la bibliothèque du collège, j’emprunte les trois volumes, format poche. Je suis fière, je lis un truc pas de mon âge. Je le lis tôt, j’ai le droit – puisque Mamie l’adore.

Etait-ce bien écrit ? Nul souvenir – de toute façon, je n’aurais pas su en juger. Je me rappelle que j’ai plongé. D’un coup, catapultée au 19ème siècle, en Amérique, dans les plantations. Sur les traces de cette Scarlett, belle à s’en damner, égocentrique, séductrice. Méchante parfois, arrogante souvent, pleine de préjugés – comme tout son groupe social, comme son époque. Une femme de caractère, excessive, facile à détester. Oui, mais une femme libre, qui se bâtit un destin.

J’ai onze ans et j’aime les péripéties de cette héroïne, son désordre amoureux, son courage face à l’adversité. J’aime son audace, sa sensualité, sa capacité à tenir son cap. Emportée par la O’hara, dans un univers aux antipodes du mien, je découvre une autre façon d’exister, loin d’un réel où j’étouffe.

J’en suis sortie en me disant que je voulais ça : de l’incandescence dans mon existence. Assumer l’autorité, la volonté, la flamboyance. Ce livre me donnait envie de pousser, de m’élever pour devenir une femme debout, qui invente une autre voie que celle rangée, uniforme, grise, laborieuse, que j’entrevoyais. Moi aussi, promesse solennelle, je serai aventurière, entre feu et action.

Les années ont passé. De l’aventure, j’en ai eu. J’ai voyagé seule aux quatre coins de la planète, j’ai aimé avec passion, j’ai étudié des sujets aussi divers que la sociologie, la linguistique, l’histoire, la négociation et l’Hindi, j’ai fait dix boulots différents avant de lancer ma propre activité, avant d’investir pleinement ma propre écriture. J’ai pris des risques, j’ai échoué plusieurs fois, j’ai eu quelques réussites, à plusieurs reprises j’ai payé le prix de mon indépendance. Toujours j’ai tenu le cap dicté par mon cœur.

Je crois, en cela, que j’ai été fidèle à ma promesse de gamine, et donc à la transmission de ma grand-mère, qui m’encourageais à tracer une destinée plus heureuse que la sienne. J’ai l’intuition que cet engagement me porte encore. Je crois que les livres, ainsi, nous donnent du carburant pour avancer, qu’ils nous soufflent des rêves à épouser, qu’ils repoussent les limites qui trop tôt nous enferment.

Dernièrement, en repensant à ce roman, je me suis interrogée : pourquoi la plupart des gens sont-ils devenus indifférents à la puissance de la lecture ? Comment est-ce possible d’oublier les émotions ressenties en lisant ? Certes, nous avons besoin de thérapie pour soigner le passé ; certes, il est plaisant de regarder des vidéos pour avoir des conseils sport, nutrition, jardinage… – et améliorer le présent. Certes. Mais quid de notre imagination qui prépare l’avenir ? Qui s’en occupe – à part les livres ? Pourquoi se priver d’une ressource qui élargit l’horizon, qui cartographie des chemins de traverse ? Les bibliothèques débordent de trésors qui soutiennent les élans de nos âmes – pourquoi les ignorer ? Je ne suis pas très sûre des réponses à ces questions – mais j’en reste convaincue : la littérature soutient notre liberté, alors pour notre propre félicité, lisons !

> Cette chronique fait partie de la série 2025, nommée « Accalmie ». Une série pour explorer les voies vers la paix, pour oser l’apaisement, la réconciliation, la détente, l’embellie, la main tendue…  Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.

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