NOUS RÉINVENTER – PISTE 31 : CHERCHER ENCORE LES RÉPONSES
- octobre 11, 2016
- by
- Mathilde Vermer
Il y a celle qui se tient droite, digne, flottant dans des vêtements trop grands, des vêtements donnés par une association, alors qu’elle raconte l’arrivée des secours, la barque surpeuplée, la mer agitée, le soleil qui tapait, le manque d’eau, le danger ;
Et celui qui, devant la caméra, les yeux secs, bizarrement posé, explique les bombardements, les tirs, l’armée ;
Et ceux qui sont sidérés par les personnages qui mentent, des deux côtés de l’Atlantique, en tordant les faits, en multipliant les slogans creux, en exploitant les préjugés des uns sur les autres, sans culpabilité, parce que les élections approchent et qu’ils sont prêts à tout pour gagner ;
Et ce groupe qui refuse de lâcher, qui manifestera aussi longtemps que nécessaire, parce que le projet est absurde, coûteux, qu’il met en péril la biodiversité de l’endroit ;
Et ceux habillés de blanc, qui sont venus pour conclure la paix, poser leur signature sur le document, ceux qui incarnaient l’espoir, l’avenir, la fin de la violence, et qu’un référendum incompréhensible a désavoué ;
Et cet adolescent qui tremble de tout son corps, parce qu’il a eu peur quand l’explosion a eu lieu, parce qu’il a encore peur, et parce qu’il sait que, dans les prochains temps, il va devoir apprendre à vivre avec la peur ;
Et celui qui, au fin fond de la brousse, survit misérablement avec les siens, dans une minuscule cahute de terre, craignant l’aggravation de la sécheresse, une crise de paludisme, ou la mort de sa chèvre ;
Et celle, fatiguée, qui vient de perdre son job, qui ne sait pas qui pourra l’embaucher dans la région, qui n’a pas envie, pour autant, de se retrouver face aux services sociaux, qui pense à ce qu’elle taira, ce soir, à ses enfants ;
Et celui qui circule entre un banc dans un parc et un quai de métro, encombré de sacs, hurlant au ciel et aux hommes, qu’il connaît, lui, la vérité, et qu’il ne se fera pas enfermé, non, jamais, jamais, qu’il protège sa liberté ;
Et celui qui a marché seul sur la route pendant des jours, prit des camions, des bus, des bateaux, et qui se cache, et qui est terrifié, et qui se dit « alors, c’est ça l’eldorado ? » ;
Quand moi-même je cherche une direction à ma vie, une place qui ait du sens, qui rende hommage à ces visages, à ces rencontres, à ces fraternités du bout de mes mondes ;
Impossible d’en faire abstraction, il y a des regards qu’on n’oublie pas, des promesses qu’on n’efface pas ;
Et je m’interroge sur le comment concilier mes valeurs, mon aspiration à la solidarité, mon refus de l’injustice, ma conviction qu’on peut faire une différence, qu’il nous appartient de prendre nos responsabilités pour bâtir un monde plus beau ;
Oui, comment concilier tout ça avec mon envie d’être heureuse, légère, rêveuse, d’avoir une existence tranquille, une jolie maison, un mari charmant, un bébé emmailloté ;
Oui, j’oscille entre la partie de moi qui se croit isolée, voudrait se refermer sur son nombril, et la partie de moi qui dit qu’on est tous reliés, qu’on marche ensemble, qu’on forme une chaîne ;
Et j’écris, je vis, je pleure et je ris, en toujours portant en moi ces questions :
C’est quoi la vie ?
Pourquoi ce monde, dis ?
Je fais quoi, moi, ici ?
Et toujours, dans mon cœur, j’espère trouver les réponses.
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