Auteure | Conférencière | Coach

2023 / 3 : SUR LE CHEMIN

Août 2011 : Paris se noie sous la pluie. À l’hôpital, il y a le bébé que les médecins tentent de sauver, ma sœur qui veille jour et nuit, et la famille qui attend le miracle. Nos cœurs sont à l’image du ciel : gris et pleins d’eau. Un été lugubre, désespérément long, où le soleil refusera d’apparaître.

Quand la rentrée se profile, je sens que les larmes se sont infiltrées partout dans mes cellules. Comment embarquer vers septembre alors que la vie a révélé son visage le plus funeste ?

Je ne sais plus d’où a surgi l’idée. Je me retrouve dans le train, avec des baskets aux pieds, un itinéraire griffonné qui doit me conduire du Puy-en-Velay à Aumont-Aubrac. Une portion du Chemin de Compostelle, avec des étapes de 25 à 30 kilomètres par jour. Je n’ai pas l’habitude de marcher, je n’ai eu aucun temps pour me préparer, j’y vais parce que mon intuition me souffle que c’est la bonne direction.

Le premier matin, je peste contre cette intuition absurde. Mal dormi dans un dortoir qui ronfle. Nœud dans le ventre. J’essaie de me rassembler. Est-ce que j’ai prévu suffisamment d’eau ? Est-ce que j’ai besoin de la housse imperméable pour mon sac ? Où j’ai rangé la crème solaire ? Et mon chapeau ? Et le spray anti-moustique ? Bazar dans mes affaires et dans ma tête. Finalement, au prix d’une pénible lutte interne, je file vers la sortie de la ville.

Au carrefour, me vient un énorme doute. Droite ? Ou devant, par le mince passage entre les arbustes ? Je cherche un signe pour me renseigner. Et c’est Dominique qui jaillit à ma rescousse.

Dominique, en Suisse, il est cheminot. Avec ses compères, Antoine et Jean-Paul, ça fait 8 mois qu’ils préparent leur périple. Ils ont tout étudié : sans hésitation, il me précise la route. Puis, dans un sourire, reprenant la tradition des pèlerins, il ajoute : si tu veux, tu peux continuer avec nous.

J’acquiesce, et je rejoins ce trio chaleureux qui m’apprend à lire une carte, à ajuster mon sac pour répartir la charge, à m’étirer fréquemment pour limiter les courbatures. Le b.a.-ba du randonneur, comme si l’invisible, de loin, prenait soin de mes pas.

Le lendemain, je rencontre Marc qui guérit d’un burn-out en consacrant 2 mois à atteindre Saint-Jacques. J’écoute ses malheurs, il écoute les miens, il me prête ses bâtons, on boit un verre à l’arrivée, c’est fou comme ça passe vite 30 kilomètres ! Le jour d’après, je prends la route avec Vincente et sa mère, et je me rappelle avoir beaucoup ri sur ce tronçon. Et avoir adoré le gite où l’on a atterri le soir, un endroit rustique qui nous a servi un délicieux aligot.

L’année d’après, et encore celle d’après, et une dernière fois en 2016, avec fidélité je poursuis l’odyssée – plus longtemps à chaque fois, avec un équipement que j’améliore. D’autres paysages, d’autres visages, d’autres histoires. Anja, Élisabeth, Delphine, Michel, Joëlle et son mari, Régine et son chéri, Coralie qui vient me récupérer dans le Gers alors que j’ai une blessure. Oscar avec qui je franchis les dernières étapes jusqu’à l’entrée dans la vaste cathédrale de Galice. Des dizaines de scènes pimentées, gravées dans ma mémoire.

Il y a des gens avec qui j’ai marché très lentement, il y a des gens avec qui j’ai galopé. D’autres avec qui j’ai visité des chapelles, d’autres encore avec qui je me suis perdue. Il y a ceux qui m’ont donné des trucs pour lutter contre les bobos qui font partie de l’aventure. Il y a ceux qui vivaient le périple comme un exploit sportif, d’autres qui étaient en recherche de sens, de lumière, d’espoir, d’autres encore qui s’exclamaient à chaque virage devant les spectacles de la nature. Et c’est vrai que le chemin offre sa dose de splendeur par la diversité des panoramas, des arbres, des villages traversés. Parcourir de grands espaces à pied : une autre expérience du voyage, l’occasion d’un dialogue émerveillé avec ces terres que l’on foule avec respect.

De mes épopées vers Compostelle, je garde le parfum des instants de grâce : convivialité qui revigore, profondeur dans les discussions, repas emplis de gaité, combo parfait pour réparer une âme. Tout comme ça réconforte de découvrir un organisme endurant, capable de tenir la distance, même quand la douleur enflamme les muscles, même quand les orteils saignent.

Le Chemin fait le cadeau de laver les soucis dans l’effort physique, dans la rencontre, dans l’éphémère enveloppant. Immersion d’un corps dans la force des éléments, griller au soleil, s’envoler avec le vent, tremper dans une fontaine, courir pour échapper à l’averse, guetter l’ombre, grogner parfois, plaisanter régulièrement, avancer toujours.

Souvent, j’y pense à ce Camino magique. Je sais que j’y ai beaucoup appris. Je sais aussi qu’il est une métaphore de l’existence. Qu’en réalité, on ne le rejoint jamais et on ne le quitte jamais. Le chemin est sous nos semelles depuis notre naissance. Toute journée qui débute est l’occasion d’une étape vers une destination qui nous appelle, un appel à respirer, à aimer, à bouger, à traquer ce qui se murmure dans le silence et dans le chaos du courant.

> Cette chronique fait partie de la série 2023 « de l’invisible ». L’invisible, c’est quoi ? Mystérieux et simple à la fois : je le définirai comme un hasard, un ressenti, un regard vers les étoiles. Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, des idées lecture, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016. Et si vous croyez en la nécessité de faire sa part de colibri, partagez ce texte.

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