Il y a 30 ans, en 1995, je fête mes 13 ans. Et comme tous les ados, cette année-là, je cherche. Qui je suis. Ce que j’aime. Comment trouver ma place dans l’univers du collège, là où se tissent des hiérarchies invisibles, où certains se démarquent par leur image, leur langue acérée, leur cote de popularité – des atouts dont je ne dispose pas, moi qui reste une gamine dévorant des bouquins.

Pour assimiler les codes du bahut, j’étudie les looks et les attitudes de mes copines, j’observe les personnages des séries télé, j’écoute les façons de s’exprimer de mon entourage. Je suis une éponge, absorbant les influences de mon époque, mon milieu, ma culture.

Le jour de la rentrée de 4ème, je tente un truc nouveau : appliquer du mascara sur mes cils. Un geste pour m’affirmer, pour ressembler aux filles cool, celles qui portent des vêtements branchés, qui sont sportives, qui font rire la classe… A la récré, une minette se moque : oh le panda, va falloir apprendre à le poser ton mascara, il a coulé partout ! Je file aux toilettes pour constater le désastre. Du noir qui barbouille mes yeux, des trainées grises sur les joues… Loupé l’effet !

Évidemment, j’ai été très heureuse de quitter le collège puis le lycée. M’extraire de la pression et du jugement de mes pairs, ne plus avoir à rentrer dans un moule étriqué, sortir de l’obsession des apparences – me permettre d’être moi, têtue et tenace, studieuse et sérieuse, impatiente et passionnée. Et puis me découvrir voyageuse, curieuse, fière de mon indépendance.

Surtout découvrir les autres : en Inde, au Viêt-Nam, au Mali, en Argentine, en Roumanie, j’ai rencontré d’autres traditions, d’autres visions du monde. J’ai noué des amitiés avec des personnes qui avaient été élevées avec des références très différentes des miennes – et nos échanges se sont révélés extrêmement riches, stimulants, joyeux. Des personnes qui possédaient le plus important : de l’ouverture, de la gentillesse, de la générosité.

Dernièrement, en lisant les soubresauts de l’actualité, j’ai eu l’impression bizarre de revenir à l’adolescence, au quotidien de la cour du collège, là où caïds et divas imposent leurs règles. Certaines personnalités se glorifient de leur réussite matérielle, multiplient les phrases qui claquent pour se faire mousser, s’amusent à maltraiter leurs interlocuteurs pour marquer leur supériorité…. Au secours ! Jusqu’à quand faudra-t-il subir l’omnipotence d’individus qui se pensent cool et se révèlent sans cœur ? Combien de temps tenir dans ce royaume des ombres, là où les mots sont vidés de leur sens, où les principes humanistes sont bafoués ?

Malheureusement, nul n’a la réponse. En attendant, la moindre des choses est de rester lucide. Ne pas avaler les couleuvres qu’on nous sert sur des assiettes dorées, ne pas renoncer aux valeurs cardinales – la liberté, le respect, le dialogue, l’altérité, le goût de la beauté, la recherche de profondeur, de lumière, de sagesse. Revendiquer haut et fort que dans une trajectoire humaine, l’essentiel est l’expansion de son cœur, l’obéissance à la partie de sa conscience qui connaît les lois de l’interdépendance. Travailler au service de l’intelligence collective, en prenant en compte les réalités de la planète, en se souciant de l’avenir pour toute l’humanité et pour le règne du vivant.

Si le changement est l’essence de la vie, alors on peut cultiver la confiance : bientôt le gong retentira, une fois de plus les portes s’ouvriront…

> Cette chronique fait partie de la série 2025, nommée « Accalmie ». Une série pour explorer les voies vers la paix, pour oser l’apaisement, la réconciliation, la détente, l’embellie, la main tendue…  Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.