Au bout du quai, il y a la mer. Présence fidèle, plus ou moins silencieuse, plus ou moins sereine. Toujours somptueuse. A la tombée du jour, les inconditionnels du soleil pourpre se figent. Ils regardent l’astre repeindre le ciel, s’évanouir derrière les îles du Frioul.

Ce dimanche, le mistral souffle fort. Il faut une dose d’obstination pour contempler les derniers rayons flamboyants. Il faut une dose de courage pour rentrer chez soi, quand le froid de décembre attaque les corps de ses bourrasques sauvages.

Chaque année, même ressenti : mon cœur se serre quand l’obscurité triomphe. Pourtant, ce dimanche-là, repartant du quai enténébré, après des semaines de chagrin, je sens une onde de douceur m’envahir. La certitude de trouver un territoire de chaleur pour m’abriter de la nuit, pour m’abandonner à des heures où personne n’attend rien de moi.

Marchant à pas vifs, je perçois qu’il y a d’autres émotions cachées dans cette douceur. Comme si les épreuves récentes m’avaient essorée puis ramenée au rivage, allégée. L’expérience du deuil rappelle combien l’existence est courte et précieuse. Pourquoi la gaspiller avec des regrets, pourquoi l’enlaidir avec des obligations inutiles, pourquoi lutter contre un quotidien forcément imparfait ?

Frotter mes oreilles, réajuster mon écharpe : pour l’instant, ce vent gelé, je refuse qu’il m’enrhume. Le choc des adieux permet de trier, réorganiser, décider : accepter ce qui doit l’être, changer ce qui peut l’être, autoriser ce qui veut l’être.

Soudain, dans un geste instinctif, je tourne la tête. Surgissant du virage, déboule un bus. Plus le moment de réfléchir : il faut courir. Courir, courir, en agitant le bras, en priant pour que… Ouf, le chauffeur me voit, le freinage est brutal, le véhicule s’arrête, je grimpe dedans en riant. Comme dans un conte, attraper un charriot magique, être transportée dans un mouvement d’accélération vers un ailleurs lumineux.

Je m’installe au fond, le sourire aux lèvres. La bonne surprise se savoure quand elle jaillit de l’ombre glacée. La bonne surprise a parfois l’allure banale d’un bus bondissant. La bonne surprise balaie immédiatement la morosité, ravive la flamme, réveille à la joie.

Dans le bus, réchauffée, une question fuse : la bonne surprise connaît-elle la loi des séries ? Une intuition amusée répond : évidemment ! La voix chuchote : dans l’invisible, la roue a tourné. En coulisse, d’autres surprises se préparent. Qui, quoi, quand, où, comment : secret protégé. Patienter. Ne pas douter. Tout comme le ciel chaque soir rougit, tout comme l’hiver embrumé est transpercé par les fenêtres éclairées, la vie étincelante murmure, sois confiante, l’histoire est loin d’être terminée…

> Cette chronique fait partie de la série 2023 « de l’invisible ». L’invisible, c’est quoi ? Mystérieux et simple à la fois : je le définirai comme un hasard, un ressenti, un regard vers les étoiles. Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016. Et si vous croyez en la nécessité de faire sa part de colibri, partagez ce texte.

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