2025 / 10 : MON BEL ARBRE
- mai 15, 2025
- by
- Mathilde Vermer
Je les imagine qui, de là-haut, nous regardent, nous la tribu des vivants, nous qui formons une partie de leur descendance, nous qui revenons ensemble, à 9, sur les lieux où ils ont vécu, cette Auvergne verte et volcanique, paisible et rude, que je découvre avec un œil vif, curieux, poétique.
Il y a Joseph, le patriarche, né en 1863, marié à Rose, qui fait graver le nom de la famille dans la roche, au-dessus de la porte de la ferme.
Il y a mon arrière-grand-père, Pierre, fils ainé de Joseph et Rose, qui part dans les tranchées en 14, comme tous les gars de sa génération, et qui rentre de cette boucherie avec un bras en moins.
Il y a mon arrière-grand-mère, Julie, par les circonstances obligée de renoncer à son amour de jeunesse, qui accepte d’épouser Pierre, malgré le bras qui manque, et qui prend en charge la gestion de la ferme et l’éducation des 8 enfants qui naîtront dans les années 1920 et 1930. Julie, la terrible, celle dont tout le monde se souvient, parce qu’il fallait filer droit devant elle.
Il y a les fils de ce couple. Jean, le plus gentil, le plus fidèle, qui reste dans ce coin reculé du Cantal, pour prendre soin des vaches, pour fabriquer du fromage. Gustave, l’enfant envolé, parce qu’à cette époque, il était si fréquent de perdre un bambin d’une maladie infantile. Gabriel, ensuite, le torturé, fuyant cette terre qui ne peut nourrir toutes les bouches, pour se faire embaucher dans de grands hôtels parisiens. Gabriel qui reviendra passer ses dernières années dans la maison de son enfance, et qui, accident ? moment de folie ?, nul ne sait, mettra le feu au bâtiment. Enfin, il y a René, le dernier, le gamin chéri, qui lutte intérieurement entre sa loyauté à la tradition et son envie d’ailleurs.
Il y a les filles de ce couple, Rosa, l’ainée, qui va étudier au loin, puis se marie, s’établit à Montpellier, construit sa propre maisonnée. Ensuite, il y a Marthe et Marie-Rose, héroïnes sages et studieuses, emportées toutes deux, autour de la vingtaine, par une diphtérie ravageuse. Enfin, il y a Élise, la benjamine, ma grand-mère, qui décampe vers 16 ans, traumatisée par le décès de ses sœurs, révoltée par la tyrannie maternelle, désireuse d’une destinée libre, romanesque.
Celui qui lui permet de partir, qui partage le projet d’une vie plus fortunée, c’est mon grand-père, Antonin, un homme issu d’une famille agricole modeste, qui vit dans le chagrin d’une enfance brutale, sans affection, un homme qui invente son propre destin grâce à sa force de travail. En quittant le Cantal, il laisse derrière lui, Odette, sa sœur de lait, une enfant abandonnée recueillie par ses parents, une fée au regard si bleu.
En ces jours de mai, sur les lieux de nos origines, avec ma mère, mon oncle, ma tante, ma cousine, ma sœur, mon beau-frère, mon neveu, ma nièce, nous rencontrons la seule qui est encore vivante, Odette.
Avec elle, au cours de retrouvailles qui font monter les larmes, nous déjeunons et discutons des existences disparues dans la nuit, des existences qui racontent une France rurale, soumise à un labeur exténuant, une France qui connaît l’exode des jeunes vers les villes, des jeunes exaltés par le vent de la modernité glorieuse, qui veulent une éducation, un logement confortable, un métier moins intense physiquement.
Pourquoi ce voyage en famille ? L’idée a surgi d’une conversation entre Adèle, ma jeune cousine, et Éliane, ma mère – la seconde répondant à la curiosité de la première, son envie de comprendre les trajectoires des générations qui la précédent.
Dans l’enthousiasme, un périple est organisé alors que jamais nous n’avions passé de vacances tous ensemble, jamais nous n’avions évoqué les zones de lumière et les parts d’ombre que contiennent notre lignée, comme n’importe quelle lignée.
Comment dire l’émotion de mener ce pèlerinage ensemble, en reconstituant le puzzle de nos racines ? Étonnamment, malgré les fardeaux et les drames du passé, cette exploration nous a allégés et rapprochés. Savoir d’où l’on vient, reconnaître les épreuves de celles et ceux qui nous ont transmis leur flamme, honorer leur tombe et leur mémoire, recevoir ainsi leur bénédiction invisible, cela donne de la force, de la paix – et même de la joie. Tellement bon de se parler comme jamais, tout en prenant le temps de se balader, rire, cuisiner, trinquer, immortaliser les instants par quelques photos où s’affichent nos sourires… Comme sur cette image où l’on voit ma cousine, ma tante, ma mère, ma sœur et moi.
Je crois que ce voyage demeurera longtemps dans nos esprits parce que nous avons ressenti dans nos cœurs, dans nos cellules, que nous, les descendants, nous étions l’incarnation des rêves de nos ascendants, nous qui avons des horizons larges, une soif d’inscrire notre marque sur le réel, un élan qui nous pousse à apprendre, entreprendre, voyager, aimer, chanter, danser, écrire… Nous, la tribu des vivants, sommes les maillons d’une chaîne qui nous dépasse, qui nous porte. Alors, profondément nourris, imbibés de cet amour qui nous unit, nous avons repris la route, confiants, détendus, impatients de poursuivre l’épopée qui coule dans nos veines.
Et vous, connaissez-vous les histoires et les visages de votre arbre généalogique ?
> Cette chronique fait partie de la série 2025, nommée « Accalmie ». Une série pour explorer les voies vers la paix, pour oser l’apaisement, la réconciliation, la détente, l’embellie, la main tendue… Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.
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