Les familles protègent leurs secrets, ces zones de non-dits, ces histoires sombres, les souvenirs qui provoquent de la honte, la jalousie au sein d’une fratrie, les déchirements à l’occasion d’un héritage, et cette violence, insidieuse, protéiforme, des adultes sur les enfants… Le cadre familial devient trop souvent le théâtre de scènes qui perturbent gravement, durablement, les esprits.

Faut-il se résoudre, dès lors, à abandonner le terrain ? Chercher dans l’amitié, les voyages, le travail, des liens qui ont davantage de sens ? Longtemps, j’ai répondu oui à ces 2 questions : j’ai déserté mon clan. Le silence et les fantômes me semblaient beaucoup trop pesants. Je n’y trouvais pas ma place, et je refusais de tirer un trait sur les douleurs du passé.

Les années se sont écoulées – d’autres épisodes se sont ajoutés à la trame initiale, redistribuant les cartes. Séparations, problèmes de santé, deuils ont poussé à renouer le dialogue. Pour espérer changer la dynamique, il fallait reprendre les choses à zéro. Ouvrir les dossiers, nommer les blessures, écouter l’autre version des événements – en mettant de côté ressentiment, chagrin, colère. Faire preuve de compassion. Recoller petit à petit les morceaux. Pas d’un coup de baguette magique évidemment : la réparation implique efforts et patience.

Finalement, comme dans tous les contextes où deux camps s’opposent, où le retour à la paix se révèle enjeu épineux, la réconciliation familiale obéit à des règles. Pour aller vers l’apaisement, d’abord, il faut que cet apaisement soit un objectif partagé par tous les protagonistes. Ensuite, il faut s’engager dans un échange honnête, en sortant du déni, de la raillerie, d’attitudes agressives, de réflexes défensifs. Toujours un pari. Il arrive que les discussions aboutissent à des échecs. Que les parties en présence restent cramponnées à leurs positions.

Mais, parfois arrivent des miracles. Parfois une étincelle réussit à ranimer des cendres, relançant un feu qu’on croyait à jamais éteint. Parfois on trouve le chemin pour s’entendre vraiment, pour bâtir une complicité à laquelle on a toujours aspiré. Il arrive, oui, que l’amour triomphe, et flambe dans les cœurs comme il n’a jamais flambé.

J’ai très peu écrit jusqu’ici sur ma mère. Je n’avais pas les mots. La pelote était trop emmêlée. Si bien que la vie s’en est mêlée. Elle a frappé fort, la vie. Des bourrasques qui ont déchiré mes entrailles et ma foi, des épreuves en cascade qui m’ont terrassée. Pourtant, cette fois-ci, quand j’ai voulu me remettre debout, il y avait la main maternelle pour m’aider à me relever. Je crois que je manque encore de mots pour raconter le retournement. Cela me paraît si étrange, à plus de 40 ans, de construire une telle relation de proximité avec ma mère. Pourtant, je ne peux que reconnaître, avec une joie intense, l’ampleur du changement. Comme si les épreuves sur la route avaient conduit à ce point précis : celui d’un immense amour qui enfin se dit, qui enfin se vit.

Alors, en ce long week-end de mai, je vais retrouver ma mère – et comme l’amour est contagieux, seront aussi présents mon oncle, ma tante, ma cousine, ma sœur, mon beau-frère, mon neveu, ma nièce. Ensemble, nous partons sur les traces de notre lignée, quelque part au fond du Cantal – un voyage vers nos racines, une escapade pour embellir notre présent en y glissant du plaisir, de la tendresse, la chaleur rayonnante d’un amour en pleine expansion.

> Cette chronique fait partie de la série 2025, nommée « Accalmie ». Une série pour explorer les voies vers la paix, pour oser l’apaisement, la réconciliation, la détente, l’embellie, la main tendue…  Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.